Perspectives XVII : un vent de douceur à La Chambre

Les amateurs d’art et de photographie ne passent généralement pas place d’Austerlitz sans faire un tour à La Chambre.
C’est un peu l’irréductible gaulois au cœur de la place d’Austerlitz. Entouré de cafés, de bars, restaurants, pizzerias, La Chambre est un lieu unique à Strasbourg où les expositions sont entièrement gratuites et ouvertes au public – même le week-end !

2018 a débuté à La Chambre avec Perspectives XVII, une exposition présentant les travaux de 5 jeunes artistes de la région Grand Est. Les expositions d’artistes locaux sont rares, on vous conseille donc de ne pas louper celle-ci ! Elles s’appellent Morgane Britscher, Mélodie Meslet-Tourneux, Lola Maria Muller, Hélène Thiennot et Amandine Turri Hoelken et présentent chacune leur travail en cours.

On avait envie de vous présenter le travail de deux de ces artistes, des travaux coup de cœur !

MORGANE BRITSCHER

Une ancienne légende rurale raconte qu’à deux pas du village d’Hilsprich, en Moselle, était autrefois édifié un couvent de religieuses. Ayant au fil des années sombré dans la débauche, ces dernières furent punies et le couvent se retrouva englouti dans une mare chauffée par les feux de l’enfer, laissant place à un marais. C’est autour de cette légende mosellane que le travail photographique Les Prémices de Morgane Britscher se construit. Originaire d’Hilsprich, l’artiste y mène depuis 2015, ce qu’elle décrit elle-même comme « un travail d’archéologie du présent » autour d’un fait géologique inédit apparu dans son petit village natal. Depuis 10 ans, le village d’Hilsprich s’affaisse, l’érosion d’une couche de sel en sous-sol modifie lentement le paysage. Certaines rues se fissurent, des maisons s’écroulent et d’autres s’enfoncent, happées comme le couvent des religieuses dont parle la légende.
À travers des images témoins du temps qui passe, une installation en bois et verre de relevés de fissures ou un relevé topographique de chaîne de montagne, elle présente cette histoire saugrenue. Petite émotion.

HÉLÈNE THIENNOT

Le projet Émergences raconte l’histoire d’un lieu particulier : le lac artificiel de Guerlédan situé dans les Côtes d’Armor. Celui-ci a été créé en 1923 pour alimenter un barrage, engloutissant ainsi sur plus de 8 kilomètres la vallée du Blavet et tout ce qui y était implanté. Des assecs du lac sont effectués régulièrement, cinq ont eu lieu depuis sa création : en 1951, 1966, 1975, 1985 et enfin en 2015 soit 30 ans après le précédent.
Hélène Thiennot a eu l’occasion d’assister au dernier assec du lac et y a vu ressurgir des formes et paysages prisonniers des eaux depuis presque cent ans ! Ces éléments qui n’émergent que rarement dans le siècle sont porteurs d’histoires et de fantasmes devenant décor légendaire d’une histoire oubliée. L’eau les a sculptés selon ses mouvements et remous pour offrir un paysage lunaire, aride et fantastique.
« Tout en fixant sur la pellicule des images de cette vallée engloutie, j’y ai collecté quelques éléments trouvés dans le ventre du lac, cherchant à faire remonter ces quelques témoins à la surface. Au travers d’une installation photographique mettant en jeu les éléments collectés sur le site, je cherche à restituer l’histoire des témoins qui composent ce paysage fantomatique prisonnier d’un espace-temps qui n’existe plus aujourd’hui puisque de nouveau recouvert par les eaux ».

Mnémosyne, déesse grecque de la mémoire, inspira à l’historien de l’art Aby Warburg la pratique qui aboutit à son célèbre ouvrage éponyme. Sa méthode consiste à produire des rapprochements quasi physiques d’images juxtaposées issues de divers horizons. « Cette série s’inspire de manière personnelle de ces collections de fragments. Elle est en perpétuelle expansion puisque correspondant à ma pratique photographique qui, au fil du temps, s’enrichit. C’est en quelque sorte une image de ma propre mémoire : souvenirs parfois absents, désordonnés, oubliés, latents. Le spectateur est amené à se pencher pour lire ces minuscules photographies et tenter de les lier comme une grande mosaïque de fenêtres entrouvertes sur l’intimité de mes souvenirs ».